La maternité est une aventure pleine de rêves, d’émotions et de projections. Pourtant, il arrive que ces projections ne correspondent pas à la réalité. C’est ce que l’on appelle la « gender disappointment » : une déception éprouvée par certains parents lorsqu’ils découvrent que le sexe de leur enfant n’est pas celui qu’ils espéraient.
Ce sujet est encore tabou, car il est difficile d’admettre que l’on puisse être triste ou déçue alors même que l’on vit ce qui est censé être un des plus beaux moments de la vie. Mais ce ressenti existe, et il est plus fréquent qu’on ne le pense.
Mon expérience personnelle : rêver d’un petit garçon
Dans mon cas, j’avais idéalisé l’idée d’avoir un garçon. Comme si cela m’aurait apporté une certaine forme de fierté, ou correspondait mieux à l’image que je m’étais toujours faite de la maternité. Dans mon esprit, le premier enfant devait être un petit garçon, l’aîné, celui qui deviendrait le grand frère protecteur de la fratrie.
Je l’imaginais déjà jouer avec son papa à la Playstation, vibrer avec lui devant des matchs de foot et peut-être même chausser ses crampons pour devenir le futur Mbappé. J’avais déjà projeté ces moments où nous l’accompagnerions à ses entraînements, ces week-ends passés au bord d’un terrain à l’encourager, fiers de lui.
Au-delà de ces images familiales, il y avait aussi des raisons plus profondes. Mon mari est le seul de sa famille à porter notre nom, Maarek. Avoir un fils représentait donc aussi, symboliquement, la possibilité de transmettre ce nom et de prolonger la lignée. Un garçon, c’était le garant d’une continuité.
Sur le plan religieux également, certaines traditions m’ont influencée. La brit mila, la bar mitzvah : autant de rituels qui marquent les étapes de la vie d’un garçon et que je m’étais déjà imaginée vivre. Cela donnait à mon désir une dimension culturelle et spirituelle qui rendait l’idée d’avoir un fils encore plus forte.
Et puis, je l’avoue, j’avais aussi une croyance (sans doute un peu simpliste) que l’éducation d’un garçon serait “plus facile” : moins de craintes liées aux histoires de cœur, à la pression sociale, aux règles et à tout ce qui peut peser sur la vie d’une adolescente.
Alors, lorsque j’ai appris que j’attendais une petite fille, un mélange de tristesse et de vide m’a envahie.
Comprendre la gender disappointment
La « gender disappointment » ne signifie pas qu’on n’aime pas son enfant ou qu’on n’en veut pas. C’est le choc entre une projection idéalisée et la réalité. Un décalage qui peut donner l’impression de perdre un rêve.
Psychologiquement, il s’agit d’un petit deuil : celui de l’enfant que l’on s’était imaginé, parfois depuis longtemps. Ce n’est pas un caprice ni un signe de mauvaise maternité. C’est une réaction humaine, complexe, qui mêle attentes personnelles, culturelles, familiales et inconscientes.
Les émotions qui en découlent sont souvent contradictoires :
- la joie d’accueillir une vie, mêlée à une tristesse diffuse,
- la gratitude d’être enceinte, accompagnée d’un sentiment de culpabilité,
- l’amour déjà présent pour le bébé, mais terni par une ombre de déception.
Beaucoup de femmes n’osent pas en parler par peur d’être jugées. Pourtant, les études montrent que ce phénomène est bien réel :
- Jusqu’à 45 % des futures mères avouent avoir une préférence pour le sexe de leur bébé avant la grossesse.
- Environ 1 femme sur 5 reconnaît avoir ressenti une déception à l’annonce.
- Dans 5 % des cas, la gender disappointment peut entraîner une détresse émotionnelle durable si elle n’est pas accompagnée.
Pourquoi ce ressenti est-il si fort ?
La déception liée au sexe n’est pas seulement rationnelle. Elle se nourrit de plusieurs dimensions :
- Les attentes personnelles : depuis l’enfance, nous avons souvent fantasmé une maternité spécifique, avec un garçon ou une fille.
- La transmission familiale : l’envie de “perpétuer” un nom, un rôle, une tradition peut accentuer le désir d’un sexe plutôt que l’autre.
- Les projections sociales et culturelles : dans certaines familles, “le premier doit être un garçon”, ou encore “les filles, c’est plus compliqué à gérer”.
- Les expériences de vie : notre propre enfance, notre relation avec nos parents influencent ce que nous espérons pour nos enfants.
Dans mon cas, toutes ces dimensions se sont entremêlées. Ce n’était pas seulement un caprice, mais une mosaïque de rêves, de croyances et de symboles qui se sont brisés à l’annonce.
Comment dépasser la gender disappointment ?
Il existe plusieurs pistes pour avancer et apprivoiser cette déception :
- Accueillir ses émotions : il est essentiel de reconnaître que ce sentiment existe et qu’il est légitime. Faire semblant qu’il n’existe pas ne fait que prolonger la douleur.
- Déculpabiliser : ma fille/mon fils ne va pas « ressentir » mon trouble comme un rejet. Elle/Il ressent surtout mon stress global, mais ce n’est pas parce que je suis triste quelques jours que cela abîme le lien. L’amour se construit avec le temps, pas en un claquement de doigts à une gender reveal.
- Exprimer ce ressenti : en parler avec son conjoint, avec une amie de confiance, ou même avec un professionnel de santé mentale. Les mots ont un pouvoir libérateur.
- Se connecter à son bébé autrement : écouter son cœur battre, sentir ses mouvements, imaginer sa personnalité, indépendamment de son sexe. Cela aide à créer un lien authentique.
- Faire évoluer les projections : Essaie petit à petit d’imaginer des moments avec ton enfant fille/garçon : les câlins, les jeux, la complicité mère-fille/mère-garçon (qui peut être magique). Beaucoup de mamans disent qu’elles n’auraient jamais imaginé à quel point avoir une fille/un garçon leur remplirait le cœur.
Déconstruire ses croyances : se rappeler que l’éducation d’une fille/un garçon n’est pas forcément plus compliquée, qu’elle pourra aussi partager des passions avec son père/sa mère, qu’elle pourra incarner des valeurs tout autant qu’un garçon/une fille. - Repenser ses projections : au lieu de se focaliser sur ce qu’on perd (un fils/une fille), ouvrir la porte à ce qu’on gagne (une fille/un garçon, avec toute sa singularité, ses surprises et son avenir unique).
- Se donne-toi du temps : Tu as encore plusieurs mois de grossesse pour apprivoiser cette idée. Et souvent, le lien se crée très fort à la naissance, quand tu tiens ton bébé dans les bras.
Mon cheminement
Aujourd’hui, je comprends petit à petit que ce que j’ai ressenti n’était pas un rejet de ma fille, mais le deuil d’un imaginaire. J’apprends à réajuster mes rêves, à me projeter autrement. Et peu à peu, une joie nouvelle commence à prendre le dessus : celle de rencontrer ma petite fille, de découvrir qui elle sera, de partager avec elle des moments que je n’avais pas anticipés mais qui seront tout aussi précieux.
👉 La « gender disappointment » ne fait pas de moi une mauvaise mère ! Elle fait de moi une femme humaine, traversée par des contradictions, mais aussi capable de les dépasser. Ce que je sais aujourd’hui, c’est que l’amour que je porte à ma fille sera immense, et que son sexe ne définit en rien la profondeur du lien que nous construirons.



